Au Canada, la guerre du whiskey est finie
Pendant près de cinquante ans, le Danemark et le Canada se sont disputés un morceau de rocher inhabitable dans l’océan Arctique et ont revendiqué cette place à l’aide de stratagèmes mesquins qui ont ensuite été connus sous le nom de « guerre du whisky ». Cet été, les deux pays ont finalement mis un terme à cette dispute en divisant l’île plus ou moins en deux.
L’île de Hans : la belle disputée
Qui parmi vous connaît l’île de Hans ? Peut-être personne, même pas les joueurs de notre casino en ligne canadien. L’île fait partie du petit archipel des Queen Elizabeth Islands et est inhabitée. Elle ne fait que 1,3 kilomètre carré et ne possède pas de grandes ressources naturelles à exploiter. Ce rocher anonyme se trouve au milieu du détroit de Nares (35 kilomètres) qui sépare le Groenland, territoire autonome du Danemark, du Canada.
En vertu du droit international, tous les pays sont en droit de revendiquer tout territoire situé à moins de 12 miles de leurs côtes. Techniquement, l’île Hans se trouve donc à la fois dans les eaux danoises et canadiennes.
Ainsi, le Danemark a revendiqué sa souveraineté sur ce territoire parce qu’il a été découvert au milieu du XIXe siècle et parce qu’il le considère (comme le reste de l’archipel) comme faisant géologiquement partie du Groenland, sa possession depuis le début du XIXe siècle. Le Canada, quant à lui, ne reconnaît pas la découverte danoise et la considère comme faisant géologiquement partie de son territoire septentrional.
Un endroit inhabitable
À peine plus qu’un gros rocher émergeant dans le détroit glacé de Nares, l’île de Hans était pour les Inuits un endroit idéal pour chasser les ours, les oiseaux et autres animaux vivant à des latitudes extrêmes. Ils l’ont appelé Tartupaluk, qui signifie « rein » dans la langue locale, en raison de sa ressemblance avec le rein humain. Ce n’est que plus tard, à l’époque des explorateurs de l’Arctique, qu’elle est devenue l’île Hans, nommée d’après Hans Hendrik Suersaq, le premier Inuit à publier un récit de ses voyages.
Pourquoi se disputer cette île inhabitable ?
Dans le canal Kennedy, frontière naturelle entre les deux pays souverains, l’île Hans est la plus petite des trois îles qui s’y trouvent. Il est même difficile de l’appeler une île, car sans végétation ou presque et sans sources d’énergie. Pourquoi alors l’île de Hans est-elle si intéressante et fait-elle l’objet d’un débat aussi vif entre le Canada et le Danemark ?
- Grand potentiel en tant que route vers la mer du Nord,
- Nouvelle frontière européenne vers le Canada,
- Point d’extraction,
- Fierté nationale.
Au-delà de la pure fierté nationale, l’îlot est devenu emblématique en ce qui concerne les intérêts plus larges des deux nations dans l’Arctique, les routes nautiques et le différend sur les réserves énergétiques de la région. Elle est aussi devenue un symbole des conflits internationaux en cours et de leur traitement souvent paradoxal.
L’océan Arctique est l’une des régions qui souffre le plus du réchauffement climatique, avec la fonte des glaciers et la montée des eaux. D’où les intérêts politiques et économiques des différentes puissances mondiales, qui voient dans le changement climatique une occasion de découvrir de nouveaux gisements d’hydrocarbures, de minéraux et de terres rares.
C’est là que se trouve l’île de Hans. Le canal Kennedy est de plus en plus accessible aux navires et les jours annuels de navigabilité de ces eaux augmentent. La domination d’un point aussi central du canal pourrait s’avérer particulièrement avantageuse pour les nouvelles routes commerciales et l’exploitation des ressources énergétiques environnantes. Ainsi, des perspectives économiques d’une certaine importance s’ajoutent au seul nationalisme.
La drôle histoire de la « guerre du whisky »
La « guerre du whisky » s’est déroulée entièrement dans un contexte d’espièglerie et d’artifices de nature non militaire. Bravant courageusement des conditions climatiques plutôt défavorables, des contingents entiers se sont affrontés sur les quelques kilomètres carrés (1,2) de l’île de Hans avec une arme spéciale : l’alcool.
Tout a commencé en 1973. Le Canada et le Danemark ont dû régler certains différends concernant leurs frontières : il a notamment été question d’une division qui traverserait le détroit de Nares, où se trouve l’île Hans. Mais sans solution.
La situation ne s’est débloquée qu’en 1984, lorsque le Canada a débarqué quelques troupes sur le petit rocher, plantant un drapeau et une bouteille de whisky canadien sur le terrain nouvellement conquis. Quelques semaines plus tard, le ministre danois des affaires groenlandaises a répondu à l’offensive en se rendant sur l’île, où il a remplacé les drapeaux ennemis par un drapeau danois et une bouteille de schnaps, le traditionnel schnaps de Copenhague.
Cet acte a été suivi d’autres réactions similaires des deux côtés. C’est ainsi que l’île vierge où les Inuits chassaient les ours est devenue un dépôt de drapeaux et d’alcools dans ce mélange de patriotisme.
Ce qui a fait baisser le niveau de tension, après presque un demi-siècle, c’est la décision surprise du Danemark et du Canada, qui ont décidé de diviser l’île en deux, avec une frontière d’un kilomètre seulement. Evidemment, pour sceller la paix, les deux ministres des affaires étrangères ont échangé une bouteille de Gammel Dansk bitter et une bouteille de whisky !